
Ce n’est pas Napoléon qui m’a fait connaître la Grèce la première fois en 1998 mais d’une certaine manière, un illustre peintre de la renaissance italienne, Raphaël dont le nom avait été donné à un programme européen en faveur de la Culture et du Patrimoine.
Aujourd’hui, nous sommes en juillet 2017 et en attendant l’heure de ma réunion avec les représentants de différents ministères et des villes grecques ayant un lien avec l’histoire napoléonienne, je suis attablé à la terrasse ombragée d’un café au milieu du petit parc juste au pied du Musée Archéologique d’Athènes.
Mon ami Matteo, que je n’ai pas revu depuis 18 ans, m’a rejoint, il s’est installé ici en 1997. Nous avions l’habitude de nous fréquenter quand lui et sa compagne, Ourania, m’hébergeaient à chacune de mes venues dans la capitale grecque.
Ce matin, Matteo me raconte et se remémore une époque de laquelle il semble nostalgique, il m’apprend que lui et Ourania se sont séparés il y a quelques années.
Il se souvient des séjours que nous avions partagés dans le quartier moderne de Néa Smýrni. Et puis il y avait les promenades à touristes, comme il disait, dans les lieux incontournables, envahis par des milliers de visiteurs venus du monde entier. Le point de départ de ces flâneries se situait souvent devant le parlement, là où il ne fallait pas manquer la relève de la garde et ses chorégraphies un tantinet ridicules. Puis en face, après avoir traversé la place Syntagma, nous nous engagions dans l’interminable rue Ermou, la rue de tous les commerces, du plus exotique au plus occidentalisée.

Nous faisions une halte au marché aux puces, place Monastiráki, pour acheter quelques babioles inutiles qui finissaient la plupart du temps couvertes de poussière au fond d’un garage. Monastiráki c’est aussi un des endroits que Matteo préférait, peut-être même plus que le célèbre quartier historique de Pláka. De toute façon, il était clair que ces deux lieux n’étaient pas en concurrence dans sa mémoire, tous deux le ramenaient aux sentiments nostalgiques que le rattachaient, à l’époque, de manière fusionnelle à Ourania.

- Tu sais Jacques, pour moi, c’était le temps du vrai bonheur durant lequel il suffisait de regarder l’autre pour être heureux. S’assoir à la terrasse fleurie d’un bar, commander un grand verre de délicieux fruits pressés, aux parfums multiples, fraises, mangues, bananes par exemple ou un plateau de fruits pelés et découpés, que fallait-il de plus pour se contempler l’un l’autre et chercher au fond du regard en miroir tout ce que l’on souhaitait de la vie ?

Honnêtement, mes souvenirs à moi étaient différents, à l’époque Athènes ne m’avait procuré que peu d’excitation, en tout cas aucune sensation en rapport à mes sentiments d’aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est mon âme qui a été asservie, sans que je comprenne pourquoi, l’effet dévastateur de la crise économique que subit ce peuple que je découvre tolérant et digne au point d’en être à mes yeux majestueux me touche au cœur, manger une crème glacée dans un petit commerce tenue par une dame qui a au moins l’âge d’être ma mère, me rendre compte qu’elle confectionne ses produits à partir de la même poudre prête à l’emploi qu’utilisait justement ma mère pour nous régaler quand nous étions petits l’été au village au centre de la Corse, c’est un plongeon émotionnel que nous fait aimer cet artifice peu gastronomique, l’essentiel n’étant plus dans la matérialité des saveurs mais dans ce qui émane de l’attitude et des mots de cette femme à la volonté incomparable. Les grecques, tous, du plus jeune au plus ancien, ne pouvant plus voyager par manque de moyens, ne cachent pas leur joie de s’arrimer à des visiteurs qui démontrent un vrai intérêt et une réelle empathie pour le drame sourd et muet que subit leur pays.

Je sais, dans ce texte, je me suis perdu, loin de Bonaparte, mais j’y reviens par l’insularité, cette part d’identité qui jamais ne me quitte, où que je sois et quoi que je fasse. C’est Corfou qui m’appelle, une île, certes beaucoup plus petite que ma Corse mais si proche par la morphologie et la végétation. La ville du même nom finit par me ramener à mes racines latines en étalant à mes pieds son patrimoine vénitien. Ici, c’est l’Italie, pourrait-on croire, mais c’est aussi Bastia ou Ajaccio tant l’architecture y est, malgré les différences de styles, si proche de ce sentiment d’appartenance que l’on ne ressent qu’en étant à la maison.
L’histoire de la relation entre Corfou et Napoléon Bonaparte n’est pas toute glorieuse mais la marque que la France impériale y a laissée semble indélébile, ce n’est pas le Professeur Michel Politis, ou les autres corfiotes avec lesquelles nous écrivons un nouveau chapitre de cette relation, qui me contrediront. Nos réunions se font en français et la France par sa culture et son histoire en est le point d’ancrage principal, il n’y a pas, me semble-t-il, de meilleures conditions initiales en vue de l’épanouissement de l’Itinéraire Culturel Européen « Destination Napoleon », je dirais même que c’est par Corfou que pourrait à nouveau rayonner, sur toute la Grèce, pacifiquement, l’héritage de Napoléon.
À suivre…
Chroniques de voyages par Jacques Mattei
Apparaissent dans cet épisode : Ville de Corfù, Ville d'Athènes, Musée Archéologique d’Athènes.